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Science des risques pour la santé – Biosurveillance humaine

Les progrès récents en chimie analytique nous permettent de mieux détecter les substances naturelles et synthétiques dans les tissus humains – comme le sang, l'urine, le lait maternel et les cheveux – grâce à une technologie de pointe désignée sous le nom de biosurveillance. Les résultats des études de biosurveillance sont maintenant largement accessibles et davantage utilisés pour tracer les expositions professionnelles et à de nombreuses autres fins, mais la qualité des résultats, la conception et les objectifs ont été remis en question par des scientifiques, des décideurs et des membres du public. Certains sont d'avis que notre interprétation des données de biosurveillance a été surpassée par notre capacité technique de détecter de très faibles niveaux de substances chimiques dans l'organisme humain.

Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis définissent la biosurveillance comme étant une méthode d'évaluation de l'exposition humaine à des substances chimiques par la mesure de ces substances¹ ou de leurs métabolites² dans les tissus ou spécimens humains, comme le sang ou l'urine (CDC, 2005). Cet outil prometteur de santé publique peut nous aider à mieux comprendre l'exposition humaine à un large éventail de substances. La biosurveillance est extrêmement utile, car elle permet de mesurer les substances chimiques qui ont pénétré l'organisme humain à n'importe quelle étape du continuum exposition-maladie à l'aide des biomarqueurs d'exposition, de susceptibilité, d'effet et de stade précoce de la maladie. Le National Research Council des États-Unis a élaboré un cadre pour l'utilisation et la sélection de différents types of biomarqueurs. Ce cadre aide à comprendre les avantages et les limites de différents biomarqueurs à la lumière des connaissances scientifiques acquises à leur sujet (http://www.nap.edu/catalog/11700.html). La biosurveillance a différentes applications, dont la détection de substances chimiques dans les tissus corporels et le suivi de l'exposition à des substances chimiques dans l'espace et le temps. La biosurveillance peut aussi aider à identifier les populations à risque.

En mesurant ces composés, les scientifiques peuvent obtenir de précieux renseignements sur l’exposition d’une personne à un moment précis. Ces renseignements peuvent ensuite servir à déterminer les niveaux d’exposition actuels dans la population en général, à comparer les niveaux d’exposition de différents sous-groupes et à mesurer la variabilité temporelle de l’exposition. Une vaste étude continue des Centers for Disease Control (CDC) des États-Unis – la National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) – a fourni les premières preuves que les Américains avaient trop de plomb dans le sang. Les conclusions de l'étude ont aidé les décideurs à réduire graduellement l'ajout de plomb à l'essence. Les CDC font également état des résultats de leur surveillance dans le National Report on Human Exposure to Environmental Contaminants (rapport national sur l'exposition humaine aux contaminants environnementaux) et ils ont publié leur troisième rapport en juillet 2005. Les CDC ont ainsi entrepris de mesurer chaque année plus de 148 substances chimiques chez quelque 5 000 personnes. Les substances chimiques examinées incluent divers métaux, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des biphényles polychlorés (BPC), des phtalates, des phytoestrogènes, ainsi que différents pesticides et herbicides. En mesurant ainsi un large éventail de substances chimiques présentes dans l’environnement dans la population civile, les chercheurs ont été en mesure d’établir des différences en fonction de l’âge, du sexe et de l’ethnicité et de constater que la présence de certaines substances chimiques telles que le plomb et la cotinine (un marqueur de l’exposition à la fumée de tabac), a diminué depuis la mise en place de stratégies d’intervention en santé publique. Malheureusement, les données de biosurveillance sont limitées, en ce qu’elles ne peuvent déterminer la source et la voie d’une exposition, ni depuis combien de temps la substance est présente dans l’organisme ou ses effets possibles sur la santé humaine. En outre, des 148 substances chimiques mesurées dans le dernier rapport des CDC, publié en 2005, seulement 25 ont des valeurs de référence, des concentrations de référence, des doses de référence ou des facteurs de pouvoir cancérogène établis par l'EPA.

Les préoccupations entourant les résultats des études de biosurveillance ont amené le Congrès des États-Unis à demander qu'un comité sur la biosurveillance humaine soit établi afin de recommander les mesures à prendre pour aider les chercheurs à mieux évaluer l'effet des substances chimiques dans l'environnement sur la santé humaine. Le Committee on Human Biomonitoring for Environmental Toxicants de la National Academy of Sciences (NAS) et du National Research Council des États-Unis a assemblé un comité d'experts qui, en 2006, a publié un rapport sur la biosurveillance humaine des substances chimiques dans l'environnement (http://books.nap.edu/catalog.php?record_id=11700). Le comité avait pour rôle d'examiner les pratiques en vigueur et de présenter des recommandations concernant, entre autres, la conception des études de biosurveillance, les moyens à prendre pour mieux interpréter et utiliser les données de la biosurveillance humaine, ainsi que la communication des résultats. L'atelier sur la biosurveillance humaine (http://www.mclaughlincentre.ca/events/biosurveillance_WS.shtml) qui a eu lieu en 2006 à l'Université d'Ottawa visait à faire mieux comprendre la biosurveillance humaine et à souligner l'importance d'une conception solide des études, d'une interprétation scientifiquement solide des résultats et d'une communication efficace des nouveaux résultats.

Les programmes de biosurveillance ne dépendent souvent que d’une ou de quelques mesures ou personnes et ne peuvent donc fournir qu’un portrait « instantané » de l’exposition. Pour cette raison, la biosurveillance est surtout utile pour le dépistage des substances chimiques persistantes. Les substances chimiques persistantes sont des substances chimiques liposolubles ou capables de se fixer à diverses protéines dans l’organisme. Les substances chimiques liposolubles s’accumulent dans les graisses et, avec le temps, parviennent à un équilibre avec le sérum sanguin; elles peuvent donc persister dans l’organisme pendant des mois, voire des années. Ces substances comprennent les BPC, les dibenzodioxines, les dibenzofuranes et les éthers diphényliques polybromés (EDP) et elles sont particulièrement préoccupantes du fait qu’elles peuvent être transmises aux nourrissons par le lait maternel. À l’inverse, les substances chimiques non persistantes sont souvent éliminées très rapidement de l’organisme, parce que ces substances ou leurs métabolites sont hydrosolubles et qu'ils peuvent être excrétés directement dans l’urine. Étant donné le caractère transitoire des substances chimiques non persistantes, il peut être difficile d’obtenir une évaluation précise de l’exposition par la biosurveillance, car les mesures obtenues peuvent ne pas révéler une exposition survenue il y a une semaine ou même aujourd’hui.

Il est souvent difficile d’interpréter les résultats de la biosurveillance, étant donné que la présence d’une substance chimique ne signale pas nécessairement un risque accru d’effets nocifs sur la santé. Grâce aux progrès technologiques réalisés au cours des dernières années, les scientifiques peuvent aujourd’hui mesurer des contaminants présents en très faibles concentrations dans des échantillons humains – des concentrations souvent exprimées en parties par million, par milliard ou par billion. À titre de comparaison, une partie par milliard (ppb) équivaut à peu près à une goutte de colorant alimentaire dans 16 000 gallons d’eau. Chacun de nous est exposé quotidiennement à des substances chimiques, lesquelles nous donnent accès à de l’eau potable et à des traitements médicaux efficaces. Cependant, le seul fait qu’une substance chimique soit présente dans l’organisme ne signifie pas qu’elle est dangereuse; en fait, la plupart des gens ont dans leur organisme des taux décelables de nombreuses substances chimiques. Pour déterminer le lien avec une maladie donnée, il ne suffit pas de détecter la présence d'une substance chimique; il est plus important d'en mesurer la concentration. Il est essentiel de concevoir les études de biosurveillance avec soin afin d'obtenir des résultats informatifs.

Afin de mieux comprendre les taux de contaminants environnementaux dans la population canadienne, Santé Canada et l’Agence de la santé publique du Canada ont octroyé des fonds à Statistique Canada pour la conduite de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS) (http://www.statcan.ca/french/about/pia/canadian.htm). Les objectifs du volet biosurveillance de l'ECMS sont d'établir des concentrations représentatives de la population actuelle pour différentes substances chimiques dans l'environnement, de fournir des données de référence pour le suivi des tendances et de permettre les comparaisons avec d'autres sous-populations et régions du Canada et avec d'autres pays. Cette enquête, qui a commencé au cours de l’hiver 2007 et qui cible 97 % de la population canadienne, vise à recueillir des renseignements sur la santé par des mesures physiques directes et des questionnaires auprès de ménages auxquels ont répondu environ 5 000 personnes âgées de 6 à 79 ans qui habitent des logements privés. Les résultats de l'enquête devraient être diffusées au début de 2010.

La biosurveillance est une étape importante dans la compréhension des risques associés aux substances chimiques présentes dans l’environnement. Il s’agit en effet d’une méthode très efficace d’évaluation de l’exposition, qui peut réduire les erreurs de classification de l’exposition dans les études épidémiologiques. Il y a erreur de classification de l’exposition lorsqu’une personne exposée est classée parmi les personnes non exposées, ou vice versa. À titre d’exemple, il peut arriver que l’exposition professionnelle soit déterminée à partir du poste qu’occupe une personne; cependant, les titulaires de ce poste ne sont pas nécessairement tous exposés et certaines personnes peuvent porter de l’équipement de protection individuelle qui réduira sensiblement leur exposition. Comme la biosurveillance est basée sur des mesures directes dans les tissus corporels, elle permet de confirmer si la personne a été exposée au contaminant à l’étude et si le contaminant a traversé la barrière d’absorption. Donc, même si les données de biosurveillance comportent certaines sources d’erreur, cette méthode est beaucoup plus exacte que les autres méthodes d’estimation de l’exposition. La biosurveillance humaine est un outil très prometteur qui pourrait nous aider à comprendre les conséquences de l'exposition humaine aux substances dans l'environnement.

Liens utiles

CDC's Environmental Health Laboratory National Biomonitoring Program (NBP)
http://www.cdc.gov/biomonitoring/

NIOSH Pocket Guide to Chemical Hazards
http://www.cdc.gov/niosh/npg/

Registry of Toxic Effects of Chemical Substances
(RTECS): http://www.cdc.gov/niosh/rtecs

National Center for Toxicological Research:
http://www.fda.gov/nctr

American College of Occupational and
Environmental Medicine
http://www.acoem.org

Association of Occupational and Environmental Clinics
http://www.aoec.org

Health Canada
http://www.hc-sc.gc.ca/ewh-semt/contaminants/biomonitoring-biosurveillance_e.html

Environmental Health Research Foundation (EHRF)
http://www.biomonitoringinfo.org/

Lectures additionelles

ACGIH (2005). Documentation of the threshold limit values and biological exposure
indices. ACGIH, Cincinnati.

Albertini, R., Bird, M., Doerrer, N., Needham, L., Robison, S., Sheldon, L., and Zenick,
H. (2006). The use of biomonitoring data in exposure and human health risk assessments.
Environ. Health Perspect. 114, 1755-62.

Barr, D. B., and Needham, L. L. (2002). Analytical methods for biological monitoring of
exposure to pesticides: a review [Review]. Journal of Chromatography B: Analytical
Technologies in the Biomedical & Life Sciences 778, 5-29.

Committee on Human Biomonitoring for Environmental Toxicants, N. R. C. (2006).
Human Biomonitoring for Environmental Chemicals. The National Academies Press.
Hauser, R., and Calafat, A. M. (2005). Phthalates and human health. Occup. Environ.
Med. 62, 806-18.

Jakubowski, M., and Trzcinka-Ochocka, M. (2005). Biological monitoring of exposure:
trends and key developments. J Occup Health 47, 22-48.

National Center for Environmental Health (2005). Third National Report on Human
Exposure to Environmental Chemicals (National Center for Environmental Health;
Division of Laboratory Sciences, ed., p. 467. Center for Disease Control and Prevention,
Atlanta.

Neri, M., Bonassi, S., Knudsen, L. E., Sram, R. J., Holland, N., Ugolini, D., and Merlo,
D. F. (2006). Children's exposure to environmental pollutants and biomarkers of genetic
damage. I. Overview and critical issues. Mutat. Res. 612, 1-13.

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Weis, B. K., Balshaw, D., Barr, J. R., Brown, D., Ellisman, M., Lioy, P., Omenn, G.,
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WHO (2001). Environmental Health Criteria 222. Biomarkers in Risk Assessment:
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