Estimation des risques
Par Daniel Kewski
Simplement parlant, le risque (R) peut être défini par la formule R = P x C, où P désigne la probabilité qu’un événement indésirable survienne et C, la conséquence de cet événement. Cette définition montre qu’un risque élevé peut survenir en raison soit d’une probabilité P élevée, soit de conséquences C élevées, soit des deux. Le cas spécial des événements présentant une faible probabilité et entraînant des conséquences élevées renvoie à des événements comme un grand tremblement de terre, un tsunami ou la défaillance d’un réacteur nucléaire, événements qui surviennent rarement, mais qui peuvent avoir des conséquences désastreuses.
Dans le cadre de leurs travaux, les experts en science des risques peuvent appliquer une définition plus vaste du risque que celle qui précède (Kaplan et Garrick, 1981). Sous sa forme la plus générale, le symbole « x » n’est pas forcément un signe de multiplication; il se veut plutôt un opérateur plus général qui combine la probabilité et les conséquences d’une manière appropriée qui est propre au risque à l’étude. Dans ce contexte élargi, les experts peuvent décrire le risque comme étant une distribution des probabilités, qui montre un éventail de conséquences éventuelles et la probabilité de chacune d’entre elles. La valeur attendue de cette distribution fournit une mesure sommaire du risque qui est conforme à la formule simplifiée R = P x C.
Lorsque les conséquences sont fixes, les discussions entourant le risque portent souvent sur la dimension de la probabilité du risque. Par exemple, la probabilité de développer un résultat de santé indésirable, comme une cardiopathie, peut être calculée et comparée à la probabilité d’un autre résultat, comme le cancer. Dans les pays occidentaux, la probabilité de mourir d’une cardiopathie est environ de 1 sur 3, tandis que la probabilité de mourir d’un cancer est de 1 sur 4, ce qui est légèrement inférieur.
Par souci de précision, il faut spécifier d’autres caractéristiques des populations à risque. Nous préoccuponsnous du risque pour la population entière ou pour un sousensemble de la population défini par l’âge, le sexe ou ethnicité? À titre d’exemple, le risque annuel de mourir d’une cardiopathie est nettement différent chez les hommes de 85 à 90 ans (1 sur 15) que chez les hommes de 25 à 30 ans (1 sur 21 000) (Thomas et Hrudey, 1996). Nous préoccuponsnous de la population d’un pays au complet ou d’une ville ou d’une province de ce pays? Existetil des souspopulations génétiquement vulnérables pour lesquelles la probabilité de développer un résultat de santé donné peut être nettement supérieure à celle de la population générale?
Le risque peut varier considérablement chez les individus d’une population et peut être évalué au niveau de l’individu et de la population. Les estimations du risque pour les individus sont plus exactes si les facteurs individuels influant sur le risque – dont l’âge, le sexe, la génétique et le mode de vie – sont pris en compte. Les estimations du risque au niveau de la population tiennent compte de la variabilité individuelle du risque grâce à l’établissement d’une moyenne efficace des risques individuels à l’échelle de la population.
Les épidémiologistes ont mis au point des mesures du risque utiles servant à décrire l’incidence d’un danger donné sur la population visée. La fraction étiologique du risque (FER), ou la fraction attribuable (FA), représente le pourcentage du fardeau de la maladie dans cette population qui serait évité si le danger était éliminé (Last, 2001). Par exemple, selon les estimations de l’Organisation mondiale de la Santé, environ 10 % des cas de cancer du poumon dans le monde pourraient être évités en éliminant l’exposition au radon dans les maisons (Organisation mondiale de la Santé, 2009).
Prenons un autre exemple. Selon les estimations récentes de chercheurs, la fraction mondiale de mortalité chez les adultes attribuable à la densité de fines particules polluantes dans l’atmosphère découlant de l’activité humaine est d’environ 8 % dans le cas des maladies cardiorespiratoires, 13 % dans le cas du cancer du poumon et 9 % dans le cas des cardiopathies ischémiques (Evans et coll., 2012). Ces estimations ont été obtenues au moyen de techniques avancées d’imagerie par satellite afin de prédire les niveaux de pollution atmosphérique dans les 192 pays visés par l’étude. De telles analyses servent à évaluer le fardeau mondial de la maladie associé à un éventail de dangers pour la santé ainsi qu’à établir les mesures prioritaires d’atténuation des risques (Organisation mondiale de la santé, 2010).
Le risque au niveau de la population peut également être mesuré au moyen de la réduction de l’espérance de vie découlant d’un facteur de risque donné. Aux ÉtatsUnis, une hausse modeste des niveaux de fines particules polluantes dans l’atmosphère de 10 µg/m3 en région urbaine peut également réduire l’espérance de vie d’environ six mois (Pope et coll., 2009). Une mesure plus perfectionnée de l’incidence d’un facteur de risque donné sur la santé de la population est la réduction de l’espérance de vie ajustée sur la qualité (AVAQ), qui tient compte à la fois de la qualité de vie et de la perte de vies.
Le nombre total d’années de vie perdues – les annéespersonnes de vie perdue (APVP) – en raison de l’exposition à un facteur de risque donné peut également être utilisé pour caractériser le risque au niveau de la population. À l’instar de l’espérance de vie, la qualité de vie peut être intégrée au calcul des APVP, à des mesures comme les années de vie perdues ajustées sur l’incapacité (AVPAI) ou les années de vie perdues ajustées sur la santé (AVPAS).
Le risque peut être exprimé en termes relatifs prenant la forme d’un rapport entre le risque selon une série de circonstances et le risque selon une autre série de circonstances. À titre d’exemple, le risque d’un accident de voiture pendant que le chauffeur utilise un téléphone cellulaire en conduisant est de 4 fois supérieur au risque d’un accident si le chauffeur n’utilise pas de téléphone cellulaire en conduisant, ce qui donne un risque relatif quadruple (McEvoy et coll., 2007). Autrement dit, le risque d’un accident de voiture augmente de 400 % si le chauffeur utilise un téléphone cellulaire en conduisant.
Les gens étant exposés à un certain nombre de dangers différents, le concept du risque cumulatif découlant d’une série de dangers semblables devient digne d’intérêt (National Research Council des ÉtatsUnis, 2009). Les polluants atmosphériques dangereux dans l’air ambiant, comme les matières particulaires, l’ozone et les contaminants organiques volatils, comportent chacun un certain degré de risque. Du point de vue de la santé des populations, il importe de minimiser le risque cumulatif associé à la combinaison de tous les polluants dans l’air ambiant.
Lorsque l’on évalue le risque associé à des dangers multiples, il faut tenir compte des éventuelles interactions entre ces dangers. Une interaction synergique survient lorsque le risque combiné associé à deux dangers ou plus est supérieur à la somme des risques associés aux dangers particuliers. L’usage du tabac et l’exposition professionnelle au radon dans les mines souterraines est un exemple de cette interaction (Moolgavkar et coll., 1993). Alors qu’un gros fumeur ou un mineur de fond exposé aux niveaux élevés de radon qui existaient par le passé avant l’installation de systèmes efficaces de ventilation dans les mines est exposé à un risque de cancer du poumon douze fois plus grand, le risque relatif de cancer du poumon chez un mineur qui est un gros fumeur et qui est également exposé à des niveaux élevés de radon est cinquante fois plus grand, ce qui est supérieur à la somme (12 + 12 = 24 fois) des risques individuels de cancer du poumon attribuables uniquement à l’usage du tabac et à l’exposition au radon. Dans cet exemple, le risque est exprimé en termes relatifs, l’augmentation de douze fois du risque de cancer du poumon associé soit à l’exposition au radon, soit à l’usage du tabac représentant le risque relatif (RR) de ces expositions, défini comme étant le quotient obtenu en divisant le risque de cancer du poumon en présence de l’exposition par le risque de cancer du poumon en l’absence de l’exposition.
La mesure la plus appropriée du risque à utiliser pour une application d’évaluation d’un risque donné dépend du contexte du risque dans lequel l’évaluation est exécutée. Les analystes du risque tiendront compte de la nature de la question qui leur a été posée, habituellement dans le contexte plus vaste de la gestion des risques, et choisiront une ou plusieurs mesures du risque qui leur permettront de répondre à cette question.
Références
Evans, J., van Donkelaar, A., Martin, R. V., Burnett, R., Rainham,D. G., Birkett, N. J., and Krewski, D. 2012. Estimates of global mortality due to particulate air pollution using satellite imagery. Environ. Res. http://dx.doi.org/10.1016/j.envres.2012.08.005.
Kaplan, S., and Garrick, B. J. 1981. On the quantitative definition of risk. Risk Anal. 1:11-27
Last, J. M., ed. 2001. A Dictionary of Epidemiology. New York: Oxford University Press, Inc.
McEvoy, S. P., Stevenson, M. R., and Woodward, M. 2007. The contribution of passengers versus mobile phone use to motor vehicle crashes resulting in hospital attendance by the driver. Accid. Anal. Prev. 39:1170-1176.
Moolgavkar, S. H., Luebeck, E. G., Krewski, D., and Zielinski, J. M. 1993. Radon, cigarette smoke, and lung cancer: a re-analysis of the Colorado Plateau uranium miners' data. Epidemiology 4:204-217.
Pope, C. A. III., Ezzati, M., Dockery, D. W. 2009. Fine-particulate air pollution and life expectancy in the United States. N. Engl. J. Med. 360:376-386.
Thomas, S. P., and Hrudey, S. E., eds. 1997. Risk of Death in Canada: What We Know and How We Know It. Edmonton: The University of Alberta Press.
U.S. National Research Council. 2009. Science and Decisions: Advancing Risk Assessment. Washington, D.C : The National Academies Press. Available at http://www.nap.edu/catalog.php?record_id=12209#toc.
World Health Organization. 2010. Preventing disease through healthy environments – Exposure to air pollution: A major public health concern. Geneva: WHO Document Production Services. Available at http://www.who.int/ipcs/features/air_pollution.pdf.
World Health Organization. 2009. WHO Handbook on Indoor Radon: A Public Health Perspective. Geneva: WHO Press. Available at http://whqlibdoc.who.int/publications/2009/9789241547673_eng.pdf.
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