Analyse de l’incertitude
Par Greg Paoli
Les gestionnaires du risque, les évaluateurs du risque et la collectivité élargie des intervenants doivent inévitablement prendre des décisions dans des contextes très incertains. Un des éléments qui définit la discipline de l’analyse des risques est l’attention qui est portée aux méthodes permettant de caractériser ce qui est connu et ce qui n’est pas connu au sujet d’une menace particulière pour la santé ou l’environnement. Cette sousdiscipline de la science des risques est souvent appelée l’analyse de l’incertitude. L’analyse de l’incertitude cherche principalement à contribuer à l’étape de la caractérisation des risques de l’évaluation des risques. À cette étape, il incombe principalement à l’analyste des risques de décrire dûment les principales sources d’incertitude et de caractériser leur incidence individuelle et collective sur des conclusions et des options stratégiques particulières. Pour arriver à décrire dûment l’incertitude, il faut réfléchir honnêtement à l’état du savoir (ou, au contraire, à l’état de l’ignorance) qui subsiste au chapitre de la capacité de prédire le niveau de risque pour la santé humaine au moyen des données et des connaissances qui sont actuellement disponibles. Cela suppose également qu’une attention soit accordée aux méthodes de quantification des incertitudes individuelles, de manière à bien combiner les incertitudes afin d’obtenir une mesure globale de l’incertitude et d’éviter les écueils associés aux méthodes qualitatives de communication des risques et de l’incertitude.
Formes d’incertitude
Il existe de nombreuses manières de définir et de catégoriser l’incertitude. Des taxonomies ont été proposées, et elles contribuent à établir une distinction entre les formes d’incertitude qui est fondée sur les nombreuses sources de cette dernière (Morgan et Henrion (1990), NRC (1994), Cullen et Frey (1999) et Krupnick et coll. (2007)). Une des principales distinctions souvent invoquée est la séparation sur le plan conceptuel de l’incertitude et de la variabilité. Le terme incertitude est le plus souvent utilisé pour décrire les limites des connaissances. L’incertitude est exprimée au moyen d’une fourchette de chiffres ou d’une distribution des probabilités pour montrer que nous ne connaissons pas la véritable valeur. La variabilité sert à décrire les différences réelles qui existent dans le monde chez les individus, les pratiques, les comportements ainsi que la variabilité inhérente au monde naturel, qui sont ou non explicables. Lorsque la variabilité est exprimée au moyen d’une fourchette de chiffres ou d’une distribution des probabilités, elle tient compte du fait qu’un chiffre réel ne peut, à lui seul, décrire complètement un phénomène. Dans la pratique, il est parfois difficile de dissocier complètement les deux. Il est particulièrement difficile de le faire lorsque l’on tente d’exécuter une tâche essentielle de l’analyse des risques pour la santé des populations qui combine ces deux concepts, à savoir exprimer notre incertitude concernant la nature et l’étendue de la variabilité.
Lorsque l’incertitude est décrite comme une limite des connaissances, les analystes des risques estiment qu’il est utile d’établir une distinction entre les deux types principaux d’incertitude, à savoir l’incertitude des paramètres et l’incertitude du modèle. Dans un modèle mathématique utilisé pour décrire un système producteur de risques, l’incertitude entoure souvent les valeurs particulières à attribuer aux variables du modèle afin de prédire le niveau de risque. Ce type d’incertitude, qui est souvent appelé l’incertitude des paramètres, se compare à ce qui est réputé une forme plus fondamentale d’incertitude dans laquelle la structure et les liens du modèle mathématique sont euxmêmes incertains. Lorsque la structure causale d’un système n’est pas entièrement comprise (autrement dit, en présence d’explications concurrentes de certains phénomènes observés), il existe forcément d’autres modèles mathématiques qui pourraient en toute légitimité être utilisés pour prédire le niveau de risque. L’existence d’explications concurrentes (et, partant, de modèles concurrents) est souvent appelée l’incertitude du modèle. Lorsque l’incertitude du modèle est à se point considérable qu’elle remet en question l’existence même des relations causales (contrairement aux modèles concurrents de la vigueur et de la nature exacte de la relation), elle peut être appelée une incertitude causale fondamentale (NRC, 2009).
Formes d’analyse de l’incertitude
Les démarches retenues pour décrire et analyser l’incertitude sont très variées. Il est possible de prendre en compte les fluctuations grâce à un continuum allant des démarches narratives aux démarches quantitatives.
Lors de la caractérisation du risque, on s’attend à ce que le niveau d’incertitude des résultats soit fourni. Pour ce faire, l’analyste peut recourir à une simple description des principales sources d’incertitude et de l’incidence de ces incertitudes sur les conclusions, sans quantifier l’incertitude ou l’incidence.
Il peut augmenter le volet descriptif en quantifiant l’éventail des possibilités associées à une variable incertaine et en montrant le changement que subiraient les conclusions si cet éventail de valeurs possibles est utilisé. Cette démarche est souvent qualifiée d’analyse univariée (c.àd. une seule variable) de la sensibilité. En combinant l’incidence de plus d’une variable incertaine à la fois, il est possible d’élargir cette démarche pour qu’elle comprenne plus d’une variable et montre la gamme complète des conclusions éventuelles à tirer de l’analyse.
Une des formes les plus complètes de l’analyse de l’incertitude est l’analyse probabiliste de l’incertitude. Dans le cadre de cette démarche, les variables incertaines sont décrites au moyen de distributions des probabilités afin de décrire l’étendue et la probabilité relative d’autres valeurs possibles pour chaque variable. Pour fournir un portrait complet de l’incidence nette de toutes les variables incertaines, l’analyste doit estimer la probabilité des différentes estimations du risque, qui tient compte des variables incertaines. Pour ce faire, il recourt souvent à la technique dite simulation de Monte Carlo. Il en résulte qu’une estimation de l’intérêt (p. ex., une estimation du risque ou une estimation de la réduction du risque) est représentée comme une distribution des probabilités (plutôt qu’un seul chiffre) qui saisit l’effet de toutes les incertitudes qui ont été quantifiées dans l’analyse de l’incertitude.
Le niveau d’analyse de l’incertitude requis est fortement dépendant de la nature et du contexte de la décision que l’évaluation du risque doit soutenir. Le choix d’une démarche relative à l’analyse de l’incertitude est un élément essentiel de la conception de l’évaluation du risque et contribue au premier plan à la réussite des communications entre l’évaluateur des risques, le gestionnaire des risques et les autres intervenants.
lectures suggérées :
Cullen, A.C., and H.C. Frey. 1999. Probabilistic Techniques in Exposure Assessment: A Handbook for Dealing with Variability and Uncertainty in Models and Inputs. New York, NY, Plenum Press.
Krupnick, A., R. Morgenstern, M. Batz, P. Nelson, D. Burtraw, J.S. Shih, and M. McWilliams. 2006. Not a sure thing: Making regulatory choices under uncertainty. Resources for the Future. February 2006.
Morgan, M.G. and M. Henrion (1990). Uncertainty. New York, N.Y.: Cambridge University Press.
NRC (National Research Council). 2009. Science and Decisions: Advancing Risk Assessment. Washington, DC: The National Academies Press.
|